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L’insoutenable lourdeur de la famille

Hier soir, je recevais mes parents à souper, événement fortuit s’il en est un. Depuis que je leur ai annoncé ma rupture avec Julie, outrepassant mes regimbements initiaux un peu adolescent, ma mère semble vouloir croire que je suis dans la perdition la plus totale. J’ai même l’impression qu’elle a été déçue par mon bien-être apparent lorsqu’elle est arrivée chez moi.

C’est vers 5 :30 que j’ai aperçu le vieil Escort rouge de ma mère tourner le coin de la rue pour finalement être stationné maladroitement pendant ce qui me sembla une éternité. Je devinais ma mère s’énerver sous la pluie d’invectives ingrates de mon père impatient.

J’avais concocté la plus sommaire des lasagnes, avisé depuis longtemps que ce genre de souper n’avait d’issue possible que la catastrophe. C’est bien plus résigné qu’enthousiaste que je suis allé répondre à la porte lorsque la sonnette a retenti, troublant l’épais silence de mon logement. Ma mère me fit une accolade dont la longueur frisait le malaise tandis que mon père et moi nous sommes échangés un bref hochement de tête.

Sitôt leurs manteaux remisés et leurs bottes retirées, mon père s’ouvre une bière et s’assoit au salon pour regarder béatement les nouvelles tandis que ma mère se dirige vers la cuisine où j’ai eu la sagesse de lui laisser la salade à faire, essayant du même fait de contrôler le débit du flot de questionnements/craintes maternels qui serait assurément l’apanage de cette sombre soirée.

Une fois le repas servi, nous nous assoyons à mon exiguë table de cuisine achetée avec empressement pour remplacer l’ancienne plus spacieuse qui meublait désormais le nouvel appart’ de mon ex. Ma mère donne désormais libre cours à ces observations tandis que mon père en est déjà à sa sixième bière si j’en crois l’état de sa caisse de 12 auquel je jette constamment de furtifs regards pour mesurer l’avancement dudit paternel.

–          Faque comme ça c’est fini hein? C’est sûr qu’on trouve ça ben triste. Hein Gilles?

–          Mouais. Es-tu partie avec un autre? S’tout le temps ça qui arrive.

–         Ben non Gilles, j’te l’ai expliqué l’autre jour. Tu t’en souviens pas?

–          Ça marchait juste pu p’pa, ça arrive tsé. C’est de même.

–          Toute façon, s’tait ben trop une bonne fille. C’est ben sûr qu’elle irait voir ailleurs un menné.

–          C’est ben normal que tu sois triste mon grand garçon. Jel sais que c’est pas facile hein. Une mère voit ça ces choses-là. As-tu pensé à rencontrer d’autre monde? La p’tite Laura d’la rue hein? Était tellement fine cette p’tite fille là, messemble que je vous aurais ben vu ensemble quand vous étiez jeune. S’tun bon parti ça la p’tite Laura, non?

–          Ça fait 10 ans que tu m’en parles m’man. J’te l’ai déjà dit que c’était pas mon genre. Pis de toute façon, je suis bien tout seul là, pour un boute.

–          En tout cas penses-y là, j’ai parlé à sa mère l’autre jour en prenant ma marche, pis elle est toujours célibataire. Peux-tu croire ça?

–          C’est p’têtre ben juste parce qu’est grosse en criss hein Marie-France, y as-tu pensé à ça?

–          Gilles, dis pas des affaires de même devant Jérôme…

Le souper s’est déroulé lentement, comme un long calvaire. Mon père toujours plus chaud, ma mère toujours aussi irritante et moi, toujours plus excédé. Une fois les gâteaux Vachon que j’avais achetés en vitesse en terminant de travailler engloutis, mon père est allé s’allonger sur mon divan pour écouter un peu la série Montréal-Québec. Au bout de quelques minutes, on l’entendait ronfler avec force. Dans la cuisine, j’essuyais la vaisselle que ma mère lavait tout en me racontant les derniers cancans de son bureau, l’achat d’une nouvelle voiture par les voisins, la situation de santé de mes oncles et tantes ainsi que la mortalité du village de la rive-sud où j’ai passé ma jeunesse.

La soirée a suivi son interminable cours puis a pris fin autour de 21 heures. Ma mère a réveillé difficilement mon père puis l’a supporté jusqu’à l’entrée. Je leur ai donné leur manteau et ma mère a lancé quelques promesses, disant qu’il fallait se voir plus souvent. Ils ont finalement quitté les lieux. Je n’ai même pas été voir à la fenêtre, je savais bien que de toute façon, ils ne m’enverraient pas la main.

Catégories :Entourage
  1. mars 12, 2010 à 2:28

    Parfois, j’ai aussi le sentiment de subir ma famille et de ne pas l’apprécier…

  2. api
    mars 12, 2010 à 9:53

    C’est bizarre, j’ai ri tout le long de ton message, pis à la fin j’avais comme plus envie de brailler.

    Me faire rire et pleurer dans la même minute, c’est comme la plus grande qualité que je peux donner à un film.
    Je suppose que ça marche pour les blogs aussi (sauf que j’ai pas pleuré, quand même.)

  3. api
    mars 12, 2010 à 9:54

    PS. Y’a trop de liens littéraires entre nos deux blogs.

  4. V
    mars 12, 2010 à 11:51

    Ce billet est d’une tristesse…

  5. mars 13, 2010 à 2:50

    Api – c’est quoi les liens littéraires?

  6. api
    mars 15, 2010 à 9:48

    Pour l’instant: Beigbeder et Kundera (à moins que je me sois trompée et que j’hallucine des liens – ça serait pas mal mon genre)

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