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Téquila rose, ABBA et tétons

Ça avait été une semaine en dents de scie, un peu comme toujours. Une semaine en dents de scie en forme de calme plat. Une semaine de barbe hérissée, de plats réchauffés, de bières flattes, de bruits de ventilateur, de fin de cartouche d’imprimante, de nuits courtes, de journées longues, de changement d’huile, de Lucky Luke lus sur le bol de toilette, de Canal D, de Gainsbourg et de Dickner. Les jours avaient passé sans grands maux, c’est bien là tout ce qu’on pouvait demander d’une semaine.

Vendredi après-midi, l’atmosphère est tangiblement plus relax au bureau. Le cliquetis régulier des vieilles souris et des claviers usés est un peu plus diffus. Plusieurs conversations sont audibles et des éclats de rires francs résonnent fréquemment. La perspective de la fin de semaine, une des dernières de l’été qu’on annonce d’ailleurs particulièrement chaude, semble rendre tout le monde de bonne humeur.

Pierre, jeune quarantaine, travaille à un cubicule près du mien et se marie le lendemain. Père de deux enfants, il a rencontré une femme dans les dernières années après une douzaine d’années de célibat qui avait succédé au départ de la mère de son fils et de sa fille. Nul besoin de vous dire que c’était la grosse histoire sur l’étage, plusieurs personnes sont longuement venues voir Pierre pour le féliciter, lui donner quelques bonnes tapes dans le dos et faire quelques blagues salaces sur la vie (ou absence de) sexuelle future du marié.

Bien malgré moi (oui oui), j’entendais ce qui se disait et un gars sur deux qui allaient le voir lui parlait de son enterrement de vie de garçon, lui demandant les détails de la soirée, s’enquérant avec salive de l’organisation de ladite festivité folle digne de mythes, de légendes, de chantefables, d’odyssée pis de pleins d’autres mots de même dans le champ lexical des lançeux de dés 20, de créatures 6/4 trample et d’épées en styromousse.

Parce que je connais bien Pierre, nous travaillons ensemble depuis quelques années, et que l’après-midi s’étire un peu trop, je décide d’aller le voir à son bureau pour le féliciter à mon tour.

–          Eille salut mon Pete! Comme ça tu te maries en fin de semaine? Pas trop nerveux?

–          Ah non, non d’Jay, ça me stresse pas, j’ai ben hâte.

–          Avez-vous prévu une grosse noce après ça?

–          Ouais, je pense qu’on s’est organisé de quoi de pas pire pantoute. Marlène a une grosse famille pis moi aussi, on a loué une belle grande salle, ça va être quelque chose.

–          C’est donc ben cool ça. Pis j’ai eu vent que t’avais un enterrement de vie de garçon ce soir? Ça promet d’être quite something?

–          Ouais, ben c’est Pat qui a eu cette idée là pis qui m’a organisé ça. J’suis pas trop au courant, c’est supposé être une surprise ce qu’on va faire mais les boys m’ont parlé de totons pis de tequila, j’ai hâte de voir ça!

–          Ah ouin? Tabarnac mon Pierre, même à votre âge vous fêtez ça en grand.

–          Tu sauras le jeune qu’on en a encore dedans. Ben en fait, Pat m’a dit que je pouvais inviter du monde. J’t’invite, en ouaille ça va être le fun pis tu vas voir qu’on en a encore dedans.

Et c’est là que j’ai réalisé que je me DEVAIS de rencontrer des filles. Parce que j’ai dit oui, vous l’aurez deviné. Et pire encore, j’ai dit oui sans vraiment hésiter. Comme ça, j’acceptais de me joindre à un enterrement de vie de garçon dont j’ignorais tout du contenu et de la teneur. J’ai dit oui comme un BS dit oui à un 6/49, comme une gamine bouteuneuse en manque d’estime dit oui à un gras voyou plus âgé qui lui tend sa verge exsangue dans le dernier banc d’un bus scolaire, comme un joueur de hockey qui signe avec les Islanders un 14 septembre. J’ai dit oui parce que je n’aurais rien fait anyway, pour m’acheter un peu de rêves. J’étais tel cette coiffeuse de Boucherville ou ce plombier de Lévis qui participe à une émission de télé-réalité pour meubler le vide de ma vie.

C’est donc ainsi que je me suis retrouvé ce vendredi, 20 heures, à garer ma voiture devant la maison de banlieue de Pat, l’organisateur en chef de la soirée. Je connaissais bien peu l’homme en question, si ce n’est que quelques conversations vides au party de Noël ou lors d’activités du club social. Il parlait souvent de sa voiture, sa thermopompe, ses 4 roues, des sujets qui ne m’émoustillaient fucking guère. Sans réfléchir jamais, je me fraie un chemin dans son entrée et sonne à la porte où on m’accueille avec grands bruits et claques dans le dos. On se félicite d’avoir invité « le jeune ».

Rapidement, on me fait entrer et on me tend un shooter de tequila rose que j’ingurgite avec dégoût puis on me donne un grand verre qu’on me dit remplit de sour puss et que je me vois quasi dans l’obligation de caler immédiatement. J’obtempère par grandes lampées dégoutées et prends de grandes respirations pour contrôler les hauts le cœur qui me prennent. Dans un monde testiculaire, le respect s’acquiert d’inorthodoxe façon, je vous le dis. Dès lors, je deviens l’initié de la soirée de façon implicite, je suis le padawan d’un groupe de jedis quadragénaires bedonnants qui se crinquent en écoutant du ABBA en buvant de la O’keefe autour d’une piscine de banlieue. Vous dire l’appréhension qui m’habitait…

Finalement, vers 22h30, Pat prend la parole et annonce qu’on va se diriger vers une destination inconnue qu’il promet exotique! Je m’entasse donc avec quelques boyzzz dans une des deux minifourgonnettes dont nous disposons et on part.

Après 20 minutes de route un peu tumultueuses, on se stationne à un bar dont j’ignorais l’existence. Sous l’enseigne de l’établissement, une affiche illuminée scande « Vendredi : Karaoke Night ». Flabergasté j’étais, brailler je voulais. Puis je me suis ressaisi,cette soirée serait magique!

C’est donc avec un aplomb forcé que je pénètre dans l’établissement. L’endroit est relativement calme, le bruit des machines vidéo poker se mélangeant avec le son d’Offenbach en sourdine et des boules de billard s’entrechoquant. Je jauge du regard les habitués de l’endroit qui nous dévisagent, tout le monde a l’air de vouloir avoir du fun, c’est honnête. Je vais voir la barmaid qui m’informe que la grosse Bud est en spécial. Je me résigne donc et en commande 2, une pour moi et une pour Pierre.

Finalement, le DJ-alias-le-gars-qui-fait-jouer-des-ostie-de-fichiers-midi-sur-son-portable-avec-genre-Windows-98-dessus revient de ce qui semblait être une pause cigarette et prend le micro afin d’inviter quiconque à venir sur le stage pour chanter la chanson de son choix.

Mon Pat scinde les tables vides à un rythme effarant et s’empare donc de la scène. Après un regard convenu avec le disk jockey, ce dernier prend le micro et annonce le « soulfoureux » Patrick avec Love is a Battlefield de Pat Benatar. Ça semble être un rituel habituel, les habitués de la place embarquent, tout le monde chante, moi y compris même si je ne connais pas pantoute la chanson.

C’est là que je prends la décision d’avoir du fun. Parce que dans le fond, c’est bien plus l’attitude que la situation et les gens avec qui ont est qui décide de la réussite d’une soirée.

Fort d’une couple de Bud en spécial, je me décide finalement à approcher le maestro et lui demande s’il a quelques pièces de Joe Dassin en banque. Il me dit que oui et m’invite à prendre le micro. Et c’est là que les premières notes du Petit pain au chocolat résonnent. Et moi je me lance dans une prestation qui méduse la foule dès lors conquise. Pris de pulsion chamanique, abusant mes cordes vocales comme la vérole sur le bas clergé, j’entonne ce bijou musical avec une intensité qui a dû faire frémir Joe, peu importe où soit-il enterré aujourd’hui.

Et pourtant elle était belle
Les clients ne voyaient qu’elle
Il faut dire qu’elle était
Vraiment très croustillante
Autant que ses croissants
Et elle rêvait mélancolique
Le soir dans sa boutique
À ce jeune homme distant

Il faut dire que j’étais vraiment très saoul, autant que mes comparses, et je rêvais mélancolique, le soir dans ce bar miteux, à la bile que je vomirais bien vite.

La soirée avance bien, je fais connaissance avec les gens dans la place, on fait boire Pierre à une vitesse indécente, on est les king pins du bar karaoke, on est parvenu, oh fuck oui, nous sommes parvenus. À un certain point, alors que je semi-french Élodie, la poudrée de 28 ans de la place que je ne connaissais ni d’Ève ni d’Adam, Michel, le beau-frère du futur marié me glisse à l’oreille que « s’il avait ma vigueur, ca ne ferait pas 5 ans qu’il n’aurait pas baisé et ça ne lui aurait pas coûté 150$ la dernière fois ».

Alors que je prévoyais établir résidence en ces lieux, Pat annonce que nous changeons de bar. On embarque donc à nouveau dans les minivans et on s’en va à une destination qui cette fois semble connue de tous sauf moi : un bar de danseuse profond en Beauce.

On roule et on roule, j’ai la tête qui tourne, le cœur fragile et la gorge nouée. Puis nous arrivons finalement au fameux bar qui a l’air absolument crade. Après avoir déboursé un cover tonitruant, on rentre dans l’établissement que je me surprends à trouver salubre. Je file immédiatement au bar tandis que j’entends quelqu’un s’exclamer que Candy était là ce soir ce qui supposément était synonyme de tout un show. Je m’achète une consommation à un prix exorbitant et je vais m’assoir un peu en retrait tandis que ma horde de jedis bedonnants se rue vers la scène pour établir contact avec les détentrices de nus totons.

Je sirote ma bière alors que l’on fait monter Pierre sur scène et que l’introduction de Don’t treat me bad de Firehouse se fait entendre. On l’assoit sur une chaise et deux danseuses aux courbes discutables et à l’âge vénérable entreprennent de le déshabiller. Une fois qu’il ne lui reste plus que son caleçon, on lui insère de la glace concassée dans celui-ci et les damzelles se frottent avec une motivation qui me dépasse complètement.

On fait finalement redescendre le futur marié mais non sans lui avoir fait léchouiller les mamelles siliconées des deux artistes, mamelles qui n’avaient guère eu la chance de prouver la 4e loi de Newton inexacte. Après coup, deux de mes mononcles accompagnateurs vont séjourner brièvement dans l’isoloir puis nous repartons vers la civilisation alors que le cadran affiche 3 :00. On vient me déposer chez moi et je m’endors avec une rapidité déconcertante.

Et malgré ce que j’aurais cru et la passe vraiment creepy des danseuses, je dois dire que j’ai passé un bon moment.

Catégories :Anecdote
  1. août 23, 2010 à 11:03

    T’es là toi !

    C’est toujours les soirées les plus improbables qui nous surprennent le plus. En bon ou moins bon!

    Et puis : « C’est là que je prends la décision d’avoir du fun. Parce que dans le fond, c’est bien plus l’attitude que la situation et les gens avec qui ont est qui décide de la réussite d’une soirée »

    Tellement. Mais telllllement vrai.

  2. août 24, 2010 à 12:11

    Si on s’emmerde c’est qu’on le décide.

  3. août 24, 2010 à 6:58

    Une soirée de gars et ça boit de la tequila rose et du sour puss ???? Euhhh ! bonsoir virilité ! Ahahahaha ! Et je suis d’accord qu’on peut toujours, mais toujours décider d’avoir du fun… ou pas ! Mais la première option est mieux, non ? 😉

  4. août 24, 2010 à 7:18

    Les choix de bouésson étaient hors de mon contrôle parce qu’à mon humble goût, c’était de la marde abyssale.

  5. août 24, 2010 à 8:03

    tequila rose? jamais goûté et j’ai même pas envie d’essayer non plus! le sour puss est dégueu quand on n’a encore rien pris, mais passe mieux après plusieurs drinks (par expérience, je peux te dire qu’il COMMENCE à être bon après deux bières pis plusieurs shooters de Jack! lolll).

    les danseuses… ark!!! ça aurait au moins pu être des pitounes dans la vingtaine! eurk.

    tk les enterrements de vie de garçon de cette gang-là ne sont pas comme ceux qu’on voit au centre-ville de montréal… genre le gars de 30 ans complètement saoul déguisé en bébé, torse nu avec une grosse couche, qui se fortte le chest sur les capots de chars aux feux rouges… lolll tu iras voir ça un de ces jours (nuits), dans le coin du burger king sur ste-catherine près de university…

    c vrai que c l’attitude qui fait qu’on a du fun ou pas… plus jeune, j’ai été forcée d’assister à un souper-spaghetti plate de matantes pour ramasser des fonds dans un sous-sol d’église… après plusieurs verres de vin, c’était endurable! lolll

    par contre y’a un boutte de ton post que je trouve trop heavy, et c celui de l’exemple de la fille et du gars dans le bus… ark. c comme… trop. ça aurait pu ne pas être écrit qu’on aurait compris ton point quand même.

  6. août 24, 2010 à 6:48

    Je ne recommande la téquila rose à personne et le sour puss, même après avoir bu ce qu’on voudra, je trouve que ça goûte la merde de toute manière. Quant à la teneur de l’enterrement de vie de garçon, faut dire que j’étais avec des hommes d’âge ma foi mûr. Et honnêtement, je trouve ça pas mal mieux que ce que les colons font dans les rues de Montréal. Ça a pas mal plus l’air d’une initiation universitaire que d’un rite de passage.

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