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Puisqu’il faut commencer

–          Toi et moi, ça fonctionne pu. Je pense qu’il vaudrait mieux se laisser.

C’est tout ce que j’avais trouvé à dire. Tout ce que j’ai pu balbutier après quatre ans de fréquentation, deux ans de cohabitation, après des milliers de rires et de pleurs. Le mieux que j’avais pu faire après des semaines de cogitation.

–          Toi et moi, ça fonctionne pu. Je pense qu’il vaudrait mieux se laisser.

Il y a eu d’abord la surprise, la sienne. Puis il y a eu le procès, le mien. Les insultes ont fusé, je fus accusé de tous les maux, un véritable fleuve de fiel se déversant sur ma personne. Et je n’ai rien dit. Un peu par paresse, certes, mais surtout parce que je savais que je le méritais, que j’étais un salaud.

Et tandis que des larmes tantôt de peine, tantôt de rage s’écoulaient lentement sur les pommettes saillantes de Julie qui me firent autrefois craquer, j’aurais aimé me sentir triste, désolé, affligé, enfin, ce genre de trucs. Mais tout ce que je pouvais ressentir, c’était un soulagement profond, un soulagement que je chérissais autant que maudissais. Je savais que je vivais la fin d’une époque et il y avait quelque chose de ragaillardissant dans tout ça, sans doute l’espoir muet que ma vie ne pouvait pas être pire qu’elle l’était, de toute façon.

Puis lorsque le silence s’est installé, que les remontrances se sont espacées, j’ai pris la fuite, la laissant seule dans l’appartement avec son frais malheur. J’ai enfilé mon vieux manteau et mes écouteurs d’iPod et je suis allé me perdre dans les ruelles de la ville tandis qu’une légère neige commençait à tomber.

Pendant que Thom Yorke emplissait mes oreilles, une tonne de choses me passait par la tête. La dernière année avait été particulièrement pénible, les constats défaitistes s’enchainant au rythme effréné typique des chaos. Elle fut marquée par la solitude et la déprime. J’étais embourbé dans une relation pourrissante, j’occupais un emploi abrutissant, j’étais devenu gras et amorphe, sédentaire en ma médiocrité.

J’ai fini par en avoir assez. Et puisque ma motivation, comme mes malheurs, arrive en pièce dodue, j’ai décidé de changer ma vie dans l’année à venir. Lorsque j’ai commencé à y penser, il y a quelques semaines, ça me semblait une bonne idée, l’opportunité de bâtir de nouvelles assises. Laisser Julie était la première action d’une liste qui me permettrait d’éventuellement retrouver une vie qui me plairait.

Mais ce soir, déjà, la route à parcourir me semble infiniment ardue et ma motivation est plus frêle que je l’escomptais. La fuite du confort, aussi austère soit-il, est une lutte de tous les instants et les batailles que j’ai gagnées dans ma vie sont peu nombreuses.

C’est donc un peu démoralisé que je suis revenu à l’appartement pour le retrouver silencieux. Julie s’était couchée, porte fermée. J’ai donc sorti une vieille couverte de laine, une caisse de 12 blanches et je pianote ces mots ici sans trop savoir pourquoi, allongé sur mon vieux futon qui empeste la bière et les vieilles chips. J’ai la tête qui tourne et je vais tenter d’aller dormir, même si je n’ai pas sommeil.

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